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Philippe Bouyssou : « Il faut défendre les valeurs humanistes et prendre le temps de les expliquer »

La commune d’Ivry-sur-Seine a accepté d’accueillir d’ici à la fin de l’année un centre d’hébergement pour migrants. Une structure qui doit compléter celle qui va ouvrir à Paris. Le maire, Philippe Bouyssou (PCF), revient sur les raisons qui l’ont poussé à accepter.

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Comment cette décision a-t-elle été prise ?

Philippe Bouyssou C’est une initiative de la mairie de Paris. Anne Hidalgo m’a demandé, fin mai-début juin, si j’étais d’accord pour que l’usine des eaux, propriété de la ville de Paris sur la commune d’Ivry, puisse accueillir un centre d’hébergement pour migrants, tandis que sur son propre territoire elle ouvrirait un deuxième lieu dans le quartier de la Chapelle. J’ai accepté tout en précisant que ce projet ne pouvait pas s’appuyer sur les capacités de la ville d’Ivry. On compte déjà sur notre commune près d’une trentaine de squats, bidonvilles ou autres interstices de l’espace public, où des personnes en grande précarité trouvent refuge. Les associations comme la Croix-Rouge, le Secours populaire ou encore les Restos du cœur sont en saturation. Une arrivée supplémentaire ne pouvait absolument pas s’appuyer sur nos structures, ni sur les réseaux de solidarité existants.

Comment fonctionne ce centre d’accueil ?

Philippe Bouyssou Toutes les structures d’accompagnement sont prévues, de la restauration jusqu’à la prise en charge médicale. C’est un projet complet qui prend en compte l’ensemble des besoins des personnes qui vont y séjourner. Sur les deux sites de la Chapelle et de l’usine des eaux, 90 emplois seront créés. Emmaüs Solidarité, qui va être l’opérateur social chargé de la gestion du centre, a, de plus, déjà des emplois dédiés et une importante expérience en la matière.

Quels seront les publics concernés ?

Philippe Bouyssou Les réfugiés seront d’abord accueillis à la Chapelle, puis réorientés. À Ivry, on attend essentiellement des femmes, des enfants et des familles. Les durées de séjour doivent être de trois à six mois, le temps que ces personnes se posent, soient soignées et puissent être orientées vers des structures de droit commun en fonction du statut qui leur sera reconnu.

Quel est l’engagement de l’État dans ce projet ?

Philippe Bouyssou La mairie de Paris interviendra à hauteur de 80 % des investissements nécessaires. Le reste sera à la charge de l’État, qui prendra également à son compte l’intégralité des coûts de fonctionnement. Il y a un repositionnement tardif du gouvernement sur la question de l’accueil des réfugiés. Il aurait pu mieux anticiper les choses. Il a attendu d’être face à une véritable catastrophe humanitaire pour réagir. Dans l’urgence, tout ça se fait forcément avec difficulté et dans la douleur. Mais il était temps et j’encourage l’État à aller beaucoup plus loin.

Comment répondre aux craintes des populations et des responsables politiques ?

Philippe Bouyssou Il faut des convictions et prendre le temps d’expliquer. Il y a les amalgames scandaleux dont usent certains élus, de droite comme de gauche d’ailleurs. Le pays traverse une période de repli sur soi. Certains espèrent, dans une logique électoraliste, gagner trois voix en accompagnant ce mouvement. C’est une logique qui sert la droite et l’extrême droite. Pour moi, il s’agit de défendre les valeurs humanistes et de les porter. Si on avait fait un référendum sur la peine de mort en 1981, je ne suis pas sûr que la guillotine ne fonctionnerait plus aujourd’hui. Face à l’urgence humanitaire, il est du devoir de ceux qui ont des responsabilités politiques de prendre des décisions et de mettre en œuvre des actions de solidarité. Ce n’est pas un sujet comme les autres. Il s’agit de la vie d’hommes, de femmes et d’enfants. Certes, le climat actuel n’est pas propice à ce type d’engagements. La population française souffre. Le Secours populaire vient de révéler qu’un Français sur deux a peur de sombrer dans la pauvreté. Mais il faut expliquer et débattre. Un an après l’émotion qu’avait suscitée l’image du petit Aylan, où en est-on ? On va laisser crever des gens sur les trottoirs ? C’est impossible ! C’est une question de valeurs. Plusieurs personnes sont venues me dire leur fierté d’être Ivryens suite à ma décision d’accepter ce nouveau centre. Et il y a ceux qui disent qu’ils souffrent déjà et qu’on devrait s’occuper d’eux plutôt que des autres. J’irai les rencontrer un à un s’il le faut pour essayer de les convaincre. Sur le territoire que j’administre et qui va connaître, dans les prochaines années, d’importantes mutations avec la construction de nombreux logements, je ne vois pas en quoi 300 femmes ayant traversé la Méditerranée avec leurs enfants pourraient réellement perturber le quotidien des Ivryens.

Toutes les municipalités, mêmes progressistes, ne sont pas aussi volontaires. Comment faire pour qu’elles s’engagent davantage ?

Philippe Bouyssou Certaines mairies, notamment communistes, font déjà beaucoup en termes de logements sociaux et de centres d’accueil. Dans ces villes où il y a le plus de réponses sociales et solidaires, on a toujours accueilli les catégories populaires les plus en difficulté. Aujourd’hui, avec les réductions de dotations de l’État vers les collectivités, avec les difficultés que ces communes ont à poursuivre leurs politiques publiques de solidarité, c’est normal qu’il y ait des craintes. Il faut exiger de l’État qu’il mette à la disposition de tous les moyens d’accueillir et qu’il joue un rôle de régulateur en ne s’appuyant pas seulement sur les maires volontaires et solidaires. On nous parle de la création de plus de 8 000 places d’hébergement pour démanteler les campements de fortune, à Calais et à Paris. Il faut alors un plan d’urgence qui permette la mise à l’abri des réfugiés, qui garantisse leur accès aux droits. Sans véritables projets sociaux d’hébergement et d’insertion, les démantèlements de bidonvilles seront catastrophiques et mèneront à des affrontements. J’appelle l’État à créer un véritable plan d’urgence avec des réquisitions de bâtiments publics, y compris dans les villes gérées par la droite, qui regarde tout ça avec mépris.

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Tag(s) : #Entretien, #Immigration, #Exilés, #Société et solidarité
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