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Délit de solidarité. Répressions transalpines

Félix Croft, un jeune français solidaire, est jugé aujourd’hui à Imperia, en Italie, pour avoir tenté cet été de permettre à des exilés d’entrer en France pour y demander l’asile.

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Moins d’une semaine après que le tribunal de Nice a rendu sa décision concernant le sort de Cédric Herrou, un autre « passeur citoyen » est convoqué, aujourd’hui, devant le juge. L’agriculteur de la vallée de la Roya a été relaxé, vendredi 10 février, de la plupart des chefs d’accusation dont il avait à répondre mais a été condamné à 3 000 euros d’amende avec sursis pour avoir, à Vintimille, pris en charge dans son véhicule des exilés pour les conduire en France. Félix Croft, 28 ans, risque pour quasiment les mêmes faits quinze ans d’emprisonnement. À la différence des dix autres Azuréens qui doivent être jugées en ce début d’année pour « délit de solidarité », lui aura affaire à un tribunal italien.

Dans la nuit du 22 juillet 2016, Félix fait monter à bord de sa voiture cinq exilés bloqués à Vintimille depuis plusieurs semaines. Il se dirige vers l’autoroute A8, qui mène en France. Au premier péage, encore en Italie, il se fait interpeller. Il est 22 h 40 quand il arrive au commissariat. Les cinq personnes qu’il avait secourues sont remises à l’association Caritas. Les policiers autorisent Félix à passer un appel téléphonique. Il contacte sa petite amie. « Je ne savais pas ce qui allait se passer, explique le jeune homme. Les agents me parlaient en italien. Je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient. »

Félix passe deux jours dans une cellule de 10 mètres carrés

À 9 heures du matin, une voiture de police vient le chercher et le conduit dans une prison à Imperia. Personne, côté français, ne sait où il se trouve. Pendant vingt-quatre heures, sa compagne remue ciel et terre pour parvenir à le savoir. Quand elle y parvient, elle se met à lui chercher un avocat. Pendant ce temps, Félix passe deux jours dans une cellule de 10 mètres carrés qu’il partage avec un homme de 72 ans en attente de son jugement pour trafic de stupéfiants. Il est libéré le 25 juillet, à 16 heures, sans savoir précisément ce qu’on lui reproche.

Deux mois plus tard, le 6 septembre, un juge italien établit que Félix n’a pas cherché à percevoir d’argent de la part des exilés qu’il transportait. Son affaire est alors requalifiée. Il sera jugé pour avoir tenté de faire passer des exilés avec « mise en danger de la vie d’autrui », sa voiture ne pouvant légalement pas transporter plus de quatre personnes… Il risque plusieurs années d’emprisonnement là où un passeur monnayant ses services encourt une peine bien moindre.

Une épée de Damoclès qui n’est pas fait pour le démotiver. Le 5 août dernier, une manifestation est organisée au poste douanier de Menton. Deux cents réfugiés passent en force la frontière. Pendant tout l’après-midi, les rues de la ville sont le théâtre de courses-poursuites et d’interpellations musclées des exilés et de leur soutien. Félix se fait arrêter côté italien par les carabinieri qui le reconnaissent et l’appellent « le passeur ». Il est à nouveau conduit au commissariat et se voit alors signifier une interdiction de séjour à Vintimille. Il fait partie de ces dizaines de personnes, en majorité italiennes, qui ne peuvent plus se rendre à Vintimille pour y travailler, y retrouver leur famille ou y venir en aide aux exilés.

Mais le jeune « délinquant solidaire » attend son procès la tête haute. « À la frontière franco-italienne se déroule une véritable chasse aux exilés, explique-t-il. Les policiers sont sous la pression du préfet des Alpes-Maritimes. On leur fait utiliser des chiens pour courser les réfugiés dans les tunnels ferroviaires. On les pousse aux contrôles au faciès. Ce sont des procédés antirépublicains. Si la puissance publique ne suit plus les règles, c’est aux citoyens de faire respecter l’esprit de la Constitution. » Et d’ajouter : « Les procès de Cédric Herrou et de Pierre-Alain Mannoni montrent que la justice sait faire une distinction entre légalité et légitimité. »

Dans la vie, Félix enchaîne les petits boulots dans le bâtiment, la grande distribution ou la pêche industrielle. Il a aussi une grande conscience citoyenne. Lors des dernières élections municipales, il était candidat sur la liste du Front de gauche, à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Le 1er mai dernier, il décide tout naturellement de monter à Paris pour participer aux manifestations contre la loi El Khomri. C’est à cette occasion qu’il rencontre les animateurs de la solidarité dans le camp humanitaire de Grande-Synthe (Nord) où il décide de faire du bénévolat pendant plusieurs semaines, au sein de l’association Utopia 56. À son retour dans le sud-est, il veut continuer à agir. Il commence à participer aux maraudes solidaires à Vintimille et se rapproche des citoyens engagés de la vallée de la Roya. Il livre de la nourriture, des vêtements dans les différents lieux qui hébergent des exilés et dans les campements de fortune.

Mais pour lui, le soutien aux exilés n’est qu’une toute petite partie d’un combat bien plus grand pour bâtir un monde meilleur. « On ne fait qu’écoper un bateau qui va couler et, seul, je n’ai pas les moyens de boucher le trou », dit-il. Une métaphore bien à propos pour ce jeune marin pêcheur qui compte parmi ses aïeux un des mutins du Potemkine.

Aujourd’hui, à 12 h 30, il se présentera devant le juge convaincu de la légitimité de son combat : « Ces procès à répétition sont surtout l’occasion de dénoncer les logiques répressives des États français et italien à l’encontre des citoyens solidaires. »

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Tag(s) : #Immigration, #Exilés, #Société et solidarité, #Frontière italienne, #Portrait, #Italie
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