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Tanguy, pêcheur en Bretagne, sauveteur en Méditerranée

Sur le pont de l’ Aquarius, le bateau affrété pour secourir ceux qui fuient la guerre et la pauvreté, se rassemblent des personnes venues de toute l’Europe. Elle aussi à bord, l’Humanité y a rencontré Tanguy, jeune marin pêcheur breton fraîchement embarqué.

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Catane (Sicile), envoyé spécial. Sur le quai du port de Catane, cinq femmes en uniforme rouge tapent des mains au même rythme que les exilés massés sur l’Aquarius. Derrière elles, les sombres uniformes de la police et des gardes civils, devant les larges tentes blanches de Frontex, l’agence européenne de « gestion » des frontières de l’Union. Il est à peine 8 heures, le navire de SOS Méditerranée accoste après deux jours de traversée depuis les eaux libyennes. À son bord, 551 réfugiés, que l’équipage s’apprête à remettre aux autorités italiennes.

« Tu vois, là, je suis vraiment ému », lâche Tanguy, les yeux rougis. Après avoir sauvé ces exilés d’une mort certaine, au large de la Libye, après les avoir soignés, après avoir navigué deux jours et deux nuits à leurs côtés, ce jeune sauveteur au regard clair observe la gorge nouée la file de ces hommes, femmes et enfants qui subissent maintenant le protocole de contrôle et d’identification de Frontex. « L’idée qu’ils vont passer les prochains mois privés de liberté, je ne l’accepte pas, s’indigne-t-il. Je ne le comprends pas. Après, on dira qu’ils ne s’intègrent pas. Mais, à bord, j’ai discuté avec un professeur, avec un ingénieur aussi, des gens dont on méprise les capacités. Je crois au contraire qu’il faudrait les considérer comme nos concitoyens. Ce n’est pas en les parquant qu’on pourra faire nation avec eux. »

« Même si on ne change pas le monde, on intervient directement. »

Avant de s’engager au sein de SOS Méditerranée, Tanguy a travaillé pendant trois ans en tant que marin pêcheur, en Bretagne. « Trois semaines au large, six jours à terre », explique-t-il. Un choix dicté par l’impression de ne pas avoir sa place dans une société jugée hypocrite et injuste. « En mer, même si c’est dur, au moins les choses et les gens sont vrais », affirme le jeune homme. La mer et le secourisme sont ses deux passions. À 16 ans, il devient pompier volontaire. Trois années après, il s’engage dans l’armée au sein de la première unité instruction et intervention de la sécurité civile. « Mes opinions politiques se situent plus à gauche qu’à gauche, ironise Tanguy. Je n’aurais jamais pu être un militaire armé. Mes idées viennent de ma colère contre toutes les injustices et c’est aussi pour ça que j’ai toujours voulu devenir pompier ou militaire. Même si on ne change pas le monde, on intervient directement. » Son implication à bord de l’Aquarius apparaît comme une suite logique. Mais elle vient aussi de son enfance et des images télévisées racontant le périple du premier bateau-hôpital affrété pour venir en aide aux boat people. Pourtant, celui qui, lorsqu’il n’est pas en mer, habite dans un camion aménagé, ne se considère pas comme un héros. « Je veux être un homme libre et indépendant, confie-t-il. Mais aussi faire partie de cette société, apporter ma pierre à l’édifice. » Pour Tanguy, il faut surtout rendre hommage aux militants des associations et collectifs comme le Réseau éducation sans frontières. « Leur travail est beaucoup plus difficile, dit-il. Ils mettent en jeu toute leur vie au quotidien, leur vie de famille, leur travail, pour mener ce combat. Ici, c’est simple. On est complètement immergé. On n’a que ça à faire… Sauver des vies. Ce qui me permet d’accepter de débarquer les réfugiés comme nous l’avons fait, c’est de savoir que ces militants existent à terre et vont pouvoir les aider. En fait, entre eux à terre et nous ici, c’est un vrai travail d’équipe. »

Un travail mis en stand-by depuis une semaine. Suite à l’attaque à l’arme lourde menée contre le Bourbon Argos, le bateau de sauvetage de la section belge de Médecins sans frontières, SOS Méditerranée a décidé de renforcer les dispositifs de sécurité à bord de l’Aquarius, qui stationne donc dans le port de Catane. Tanguy, lui, s’inquiète pour les milliers de réfugiés qui pourraient prendre la mer en l’absence de bateaux de sauvetage. « Le week-end dernier, on a sauvé plus de 1000 personnes en deux jours, s’émeut-il. Là, on pourrait rester au port pendant plus d’une semaine. S’il n’y a pas de navire d’assistance, ils ne peuvent pas s’en sortir. »

Une inquiétude renforcée par le nombre de sauvetages effectués ces deux derniers jours (lire encadré). Deux bateaux d’ONG sont, de plus, encore sur zone, et le navire de SOS Méditerranée devrait rapidement quitter le port. En attendant, Tanguy prépare, avec d’autres équipiers, le matériel nécessaire au sauvetage et à l’accueil à bord des migrants. « Si on n’y retourne pas, interroge-t-il, combien seront-ils à mourir sans que personne soit jamais au courant ? »

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Tag(s) : #A bord de l'Aquarius, #Reportage, #Portrait, #Exilés, #Europe forteresse, #Italie, #Libye
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