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Calais, dos au mur de la forteresse européenne

En quête d’asile, ils sont de plus en plus nombreux à gagner la cité du Pas-de-Calais. Sourd aux revendications des migrants et des humanitaires, le gouvernement s’entête dans une logique répressive. Les associations, épuisées, appellent au respect de la dignité humaine.

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Calais, envoyé spécial. « Ces derniers mois, les évacuations des lieux de vie, les arrestations et les violences policières se sont multipliées. » Le 27 juillet, pas moins d’une centaine d’enseignants-chercheurs et universitaires ont signé une tribune de soutien aux exilés de Calais. Initiative qui souligne l’urgence de la situation sur la Côte d’Opale. Alors que le nombre de migrants en situation de grande précarité ne cesse d’augmenter dans la cité, les associations de solidarité sont à bout de souffle et désespèrent de voir l’État prendre ses responsabilités. Depuis la fermeture du camp de Sangatte, il y a douze ans, aucune solution satisfaisante n’a été proposée aux milliers de personnes en quête d’asile et d’eldorado britanniques. Le site d’une ancienne entreprise est occupé depuis le 12 juillet par une centaine de réfugiés. Sur le portail en fer, une banderole chahutée par le vent marin donne le ton : « Plus d’expulsion sans solution ».

Le squat, menacé d’expulsion, a été ouvert le 2 juillet à la suite de l’évacuation de l’ancienne esplanade utilisée par les associations pour la distribution de repas. L’endroit était occupé, depuis deux mois, par 600 réfugiés qui protestaient contre la destruction de leurs lieux de vie et de leurs maigres biens matériels. Le 28 mai, la préfecture avait lancé une vaste opération de démantèlement des camps qualifiés de « jungle » tant par les pouvoirs publics que par leurs habitants. Une journée noire pour les migrants et les associations baptisée « opération sanitaire » par le préfet du Nord-Pas-de-Calais, Denis Robin, prétextant l’éradication nécessaire d’une épidémie de galle. Pour les associations, ces opérations ont surtout fait voler en éclats le semblant d’organisation mis en place pour gérer les situations d’urgence en l’absence de tout dispositif d’État.

Arrêté municipal « anti-bivouac » et moyens supplémentaires aux CRS

À ce jour, il n’y a donc plus de lieu de distribution alimentaire couvert. Les associations et les migrants se donnent rendez-vous sur un terrain vague. Disparu aussi, l’accueil de jour géré par le Secours catholique. Seules les femmes continuent de pouvoir bénéficier d’un accueil spécifique mais déjà saturé. Depuis la fin mai, l’État choisit de palier sa remarquable absence par la répression. Acharnement complété par un arrêté municipal « anti-bivouac » et confirmé par les moyens supplémentaires alloués aux CRS plutôt qu’aux associations humanitaires. Une unité de quarante âmes casquées vient d’être affectée à Calais. Depuis le début de la période estivale, plusieurs centaines de personnes ont été interpellées et placées en centre de rétention, dont de nombreux mineurs. Les migrants occupent la cour intérieure du squat. Les locaux leur sont interdits pour des raisons de sécurité. Ils dorment dans des tentes. Trois d’entre elles ont été léguées par Médecins du monde (MDM) en sus de quelques douches et WC provisoires. Sur les murs de la cour, des graffitis en arabe, en français, en anglais : « Keep banging on the wall of fortress Europe ! (« Continuez de frapper contre le mur de l’Europe forteresse !»)» Les habitants du squat sont là de façon provisoire. L’objectif est de gagner la Grande-Bretagne où ils rêvent d’une vie normale. « Je viens pour aider, indique dans un anglais parfait Mohamed Ahmad. Je connais bien la situation. J’étais à leur place il y a huit ans. J’arrivais du Soudan et j’ai vécu dans une “jungle” jusqu’à ce que je rejoigne l’Angleterre en bateau. Aujourd’hui, je fais une école d’ingénieur à Londres. » Comme lui, de plus en plus de personnes s’impliquent de façon autonome pour venir soutenir les exilés en attente. Ils prennent souvent le relais de bénévoles associatifs épuisés et désabusés par le désengagement de l’État. Un homme sort la tête d’une des trois tentes blanches de MDM. À l’intérieur, huit personnes, originaires du Soudan et du Yémen, sont allongées. « Nous voulons quitter cet endroit au plus vite, annonce Madibo Jdriss, Soudanais âgé de quarante et un ans et père de quatre enfants. J’ai demandé l’asile en France. Ils ont enregistré ma demande et m’ont proposé un rendez-vous deux mois après. Comment vivre en attendant ? » Madibo sort de son portefeuille une attestation de domiciliation à Calais. « Avec ça, je peux normalement bénéficier de l’aide médicale d’État. Pas ici. En Allemagne et en Hollande ils donnent un hébergement et de quoi manger. Pas ici. » Quand on est demandeur d’asile, on ne choisit pas. Pointé du doigt, le règlement Dublin 3, qui empêche les migrants de déposer leur dossier dans le pays de leur choix. Madibo a laissé femme et enfants au Soudan du Sud, il y a deux ans. Sans emploi, là-bas on avait cherché à l’enrôler dans l’armée. «Mais moi je ne veux pas tirer sur mon peuple. Peu importe où ça se trouve, tôt ou tard, je trouverai un lieu de paix où je pourrai faire venir ma famille.» De toute évidence, il exclut que ce soit sur la Côte d’Opale.

«Depuis mon arrivée en Europe, c’est à Calais que c’est le plus difficile»

De l’autre côté de la ville, sur un terrain de l’usine chimique Tyoxide, 300 personnes campent au milieu des déchets industriels. Elles sont, elles aussi, sous le coup d’une expulsion programmée. À cinquante mètres du trou dans le grillage qui sert d’entrée au site, caché par quelques broussailles, un cercle de petites tentes bleues. Au milieu, une autre est un peu plus grande. « Je suis heureux depuis que j’ai cette tente », jubile Samere, un jeune Érythréen de vingt-trois ans remerciant François Guenoc, de l’Auberge des migrants, de lui avoir offert son nouvel abri. « Je prie tous les jours mon dieu pour qu’il m’aide à traverser la frontière. Mais, en attendant, je vais vivre confortablement dans cette tente. Cette nuit, on a dormi à huit dedans.» Samere décrit ensuite son parcours : l’Éthiopie, le Soudan, la traversée du désert, la violence de l’armée libyenne, la traversée jusqu’en Sicile… Et de conclure : «Depuis mon arrivée en Europe, c’est à Calais que c’est le plus difficile.» Un peu plus haut, de grands abris en bois et bâches agricoles noires constituent le «quartier afghan» de la «jungle». Samir et Sahal sont pachtouns. Respectivement pakistanais et afghan, ils ont fui les persécutions des talibans et de l’armée. «Ils ont détruit ma maison à coups de bazooka, précise le premier avant d’afficher un large sourire. Après avoir traversé la Slovaquie et l’Autriche, j’ai passé six mois en Belgique, où ma demande d’asile a été rejetée. Ici, la police passe tous les jours. Ils disent : “Dégagez ! Dégagez !” » Depuis la fin du mois de mai, les associations constatent en effet que les violences policières sont en augmentation. Il est midi, de petits cercles se forment autour de feux de bois. Dans un recoin boisé, assis sur une palette couverte de carton, Habib prépare un café. Il évoque la dispute qui a éclaté la semaine dernière entre Érythréens et Soudanais : « Il n’y a plus de problème. On s’est réuni et on a trouvé un accord. Nous sommes des frères. » Mais il pointe lui aussi la police, qui « nous traite violemment ». Habib a fui l’Érythrée pour ne pas avoir à effectuer son service militaire obligatoire et illimité. Depuis plusieurs mois, il essaie de quitter le Calaisis pour la Grande-Bretagne. « On monte dans des camions au hasard. Parfois, ils ne vont pas en Angleterre, mais en Belgique ou en Pologne. Quand on s’en rend compte, on est déjà loin. On demande au chauffeur de s’arrêter et on regagne Calais à pied. Quand le camion part dans la bonne direction, on espère qu’il n’y aura pas de contrôle de police.» Depuis le 24 juillet, quand la justice a statué sur l’expulsion du camp, plusieurs centaines de migrants se sont réfugiés dans un bois, de l’autre côté de la route. Des jeunes gens, hors de toute structure associative, y distribuent des fruits, des légumes et du pain à près de 500 personnes. Ils viennent compléter le travail des associations qui n’arrivent plus à assumer l’ensemble des actions de solidarité nécessaires. « C’est encourageant. On note que de plus en plus de citoyens de la ville, et même des personnes qui viennent de l’extérieur, se mobilisent », souligne François Guenoc. En quatre mois, le nombre de personnes en quête d’asile a doublé. Sur un terrain vague du centre-ville, vers 18 heures, l’association Salam «distribue 1 200 repas sept jours sur sept, indique Tony. On se relaie entre associations pour pouvoir souffler. C’est dur d’être témoin de cette misère tous les jours. Depuis que la police a fermé le centre de distribution alimentaire, on n’a plus d’abri, ni de chaise, ni de table ». Les guerres et les crises économiques qu’engendrent les politiques européennes et américaines jettent sur les côtes de la mer du Nord et dans les eaux de la Méditerranée des foules d’humains sacrifiés sur l’autel du libéralisme et de l’impérialisme. Tout l’été, les lettres ouvertes, les communiqués et les pétitions se sont multipliés pour que l’État français fasse d’autres choix que celui de la répression et déploie enfin un véritable dispositif d’accueil et d’accompagnement respectueux du droit international et de la dignité humaine. Il y a urgence. À Calais, les migrants, les militants humanitaires et les citoyens volontaires sont à bout de souffle.

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Tag(s) : #Immigration, #Reportage, #Calais, #Exilés, #Mes unes, #Europe forteresse
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