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Cévennes, terre de solidarité

En Lozère, tradition oblige, on se mobilise contre l’acharnement du préfet envers des familles de réfugiés. Un village de 200 âmes en a vu manifester 400…

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Barre-des-Cévennes (Lozère), envoyé spécial. «Ils n’ont pas intérêt à y toucher, sinon on va se fâcher. En Lozère, l’accueil de réfugiés politiques est une tradition. » François Rouveyrol est maire de Barre-des-Cévennes. Une commune de deux cents âmes fièrement accrochée aux reliefs cévenols, à plus de 900 mètres d’altitude. Il fustige Guillaume Lambert, le préfet du département et ancien directeur de campagne de Sarkozy, qui vient de signifier une obligation de quitter le territoire français (OQTF) à une famille tchétchène. Deux enfants et leurs parents accueillis et protégés depuis trois ans par la population du village.

Lundi matin, à quelques kilomètres, l’édile a rejoint son homologue, Christian Huguet, en mairie de Florac. Ici aussi on protège une famille fuyant pour sa part l’Arménie. « Le solde démographique du département est négatif. L’arrivée de ces familles est un atout pour nos territoires. » Les deux hommes parlent à l’unisson. « Il y a du travail pour ces personnes et les enfants sont scolarisés dans nos communes, insiste François Rouveyrol, inquiet par la fermeture annoncée d’une des deux classes de l’école de son village. Nous maîtrisons ce qui se passe sur nos territoires. Si une collectivité locale décide de recevoir des réfugiés, pourquoi l’État lui mettrait des bâtons dans les roues ? » Le préfet vient d’attaquer le maire du petit village cévenol au tribunal administratif. Il veut faire invalider la décision du conseil municipal de créer un poste d’agent communal proposé ensuite à Vakha. Le père de la famille tchétchène est âgé d’une cinquantaine d’années. Il attend sur le palier de sa maison. Ce mardi, Vakha reçoit les membres du Réseau éducation sans frontière (RESF). La famille exilée d’Arménie est également présente. Autour de la table de la cuisine, chacun raconte son histoire. Tous se comprennent grâce à la langue russe dont ils partagent la pratique. « En Lozère, sept familles sont concernées par des OQTF », précise Patricia Grime de RESF. « Je suis la marraine d’Hélène », ajoute-t-elle, observant la fillette de quatre ans qui circule entre les jambes de sa mère, Lilit, et celles de son père, Sérob.

« On aide cette famille depuis trois ans. On ne lâchera rien. »

En 2008, ce dernier militait en Arménie pour la candidature de l’ancien président Lévon Ter-Petrossian. Il assiste au bourrage des urnes par les soutiens du candidat élu au premier tour, Serge Sargsian. Il dénonce l’imposture. Enlevé, tabassé, menacé pendant son hospitalisation, il part en Géorgie avec Lilit et son fils Mher. Il y travaille pendant trois ans. Hélène naît dans une ville portuaire, à Avlabar. Mais Sérob continue d’être pourchassé par des miliciens de Sargsian. Il s’enfuit alors vers Marseille à bord d’un cargo marchand. Les passeurs leur demandent trop d’argent et Mher, alors âgé de huit ans, doit regagner l’Arménie. En France, la famille passe de centre d’accueil de demandeurs d’asile en centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Ils vivent sous le coup d’une OQTF depuis janvier 2013, mais en Arménie Sérob craint pour sa vie. Notre hôte Vakha est, lui, originaire de Grozny. Plusieurs fois enlevé et torturé pour avoir soutenu des combattants tchétchènes durant les conflits avec la Russie, il fuit d’abord vers la Pologne. Il y vit trois ans avant de rejoindre la France, en 2010, caché dans un camion de marchandises avec Medna, son épouse, et ses deux garçons, Oussam et Ramzan. Ils sont rapidement pris en charge par la Cimade, dans le Gard. En 2012, suite au refus de l’OFPRA de les considérer comme réfugiés, ils tombent sous le coup de la convention Dublin 3, qui prévoit de renvoyer les réfugiés en situation irrégulière dans le premier pays où une demande d’asile a été déposée. L’organisation humanitaire sollicite alors plusieurs maires de Lozère, l’objectif étant de gagner du temps pour remplir les critères de la « circulaire Valls » de novembre 2012. Celle-ci prévoit de régulariser les familles « caractérisées par une installation durable sur le territoire français » et justifiant de la scolarisation des enfants depuis plus de trois ans. Oussam et Ramzan vont à l’école depuis 2011 mais le texte prévoit que les demandeurs soient en France depuis plus de cinq ans. Le compte n’y est pas pour le préfet qui justifie ainsi l’OQTF qu’il leur a signifiée. « On a décidé de cacher Vakha dans une autre maison du village au cas où ils viennent pour l’expulser, raconte Françoise Puech, conseillère municipale et membre du comité de soutien à Barre-des-Cévennes. On aide cette famille depuis trois ans. On ne lâchera rien. » Le 5 août, face à l’acharnement préfectoral, le comité avait rassemblé 450 personnes dans les rues du village qui compte pourtant seulement 200 habitants. La mobilisation touche des personnes de toute sensibilité. « Je suis horrifié par la montée des discours identitaires et intolérants, s’insurge Jean Figuière, conseiller presbytéral de l’église protestante locale. Nous sommes sur une terre d’accueil. Lors du culte, j’ai annoncé la manifestation. Les paroissiens ont répondu présent. » Non loin de là, sur le marché du Collet-de-Dèze, Robert Aigouin, conseiller général communiste de Lozère, vend des produits locaux de sa production. « Le gouvernement actuel joue sur la peur, dénonce l’élu. Peur de la crise, peur des étrangers. Mais c’est le capitalisme mondialisé qui déstabilise la vie des gens. Il faut inventer de nouvelles perspectives politiques. Pour les citoyens français comme pour ces personnes dont l’accueil est un devoir. »

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Tag(s) : #Immigration, #Société et solidarité, #Reportage, #Exilés
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