Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Mayotte, lagon meurtrier dans l’archipel des Comores

Depuis quarante ans, l’île de Mayotte demeure une enclave coloniale dans l’océan Indien. Transgressant le droit international, 
elle érige une barrière administrative et criminelle entre les habitants des quatre îles comoriennes.

-----------------

Mayotte, envoyé spécial. À l’ombre d’une tôle ondulée, Ismaël réajuste ses épaisses lunettes noires. Dans sa ville de Domoni, sur l’île comorienne d’Anjouan, à 70 km de Mayotte, il goûte à la liberté retrouvée. Il y a dix jours, notre homme, âgé de quarante et un ans, était encore enfermé à Majicavo, la maison d’arrêt de l’enclave française. Sa faute : avoir conduit un kwassa, barque de fortune chargée de quatorze personnes, qui permet aux Comoriens d’accéder à l’île confisquée par la France depuis 1975. 
Dix-sept mois et dix-huit jours derrière les barreaux. Et toujours le souvenir de l’arraisonnement de son embarcation. « Une course-poursuite de quarante minutes, décrit le jeune homme. Le bateau de la police aux frontières tapait régulièrement contre la coque du kwassa. Quand je n’ai plus eu d’essence, ils ont commencé à tourner très rapidement autour de nous. Puis ils m’ont menacé avec une arme et menotté. »

Tout le monde est sorti indemne de cette interpellation brutale à proximité de la barrière de corail qui entoure Mayotte. Un de ses amis n’a pas eu autant de chance, quelques semaines plus tôt. Lorsque le navire de la PAF a commencé à encercler le kwassa, les vagues provoquées par la manœuvre l’ont fait chavirer. Parmi les vingt-six personnes à bord, six ont été portées disparues et le passeur, condamné à quatre ans de prison ferme. « Ici, tout le monde tente de passer ou de faire passer des personnes », continue Ismaël qui a lui-même vécu sans papiers à Mayotte de 1994 à 2000. Trois de ses enfants sont nés français, là-bas. Il ne les a pas reconnus par peur de se faire expulser. Aujourd’hui, il promet qu’il tentera bientôt de revenir pour prouver sa paternité.

Traversée mortelle

Histoire tristement banale, qui résume à elle seule l’intenable situation de Mayotte. Depuis le 18 janvier 1995, le gouvernement français d’Édouard Balladur a imposé aux seuls ressortissants comoriens un visa d’entrer sur l’île. Jusqu’à cette date, la circulation des kwassas était libre. Aujourd’hui, pour accéder à Mayotte, les habitants des trois autres îles de cet archipel de l’océan Indien (Anjouan, Grande Comore, Mohéli) doivent obtenir le précieux document avant leur départ en présentant des garanties de rapatriement, des justificatifs relatifs aux conditions de séjour ou à leurs moyens financiers et une assurance maladie. Des obligations que la grande majorité des Comoriens, dont la famille est parfois disséminée sur les différentes îles, ne peuvent remplir. Pour contourner cette barrière administrative et les contrôles maritimes, ils sont nombreux à prendre le risque d’une traversée parfois mortelle.

La veille, à Anjouan, sur le port du Mutsamudu, un commissaire à la retraite de la police aux frontières comoriennes, qui souhaite conserver l’anonymat, témoigne de la mort de sa fille au cours d’une opération de ses confrères français alors qu’elle tentait le passage. « Les gens ont dit que la police leur avait tiré dessus. Une rescapée du naufrage m’a confirmé qu’il y a bien eu des coups de feu. » Fruit de la recolonisation de Mayotte par la France, les drames humains aux Comores sont innombrables. Le 12 novembre 1975, Said Mohamed Djaffar prit place à la tribune de l’ONU pour consacrer l’entrée officielle des quatre îles unifiées au sein de la communauté internationale. La France s’est abstenue de voter la résolution 3385 qui entérinait ce souhait d’indépendance et réaffirmait « la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale » de l’ensemble de l’archipel, Mayotte comprise.

« Ici, la mer n’a jamais séparé personne. La mer, c’est le lien, la continuité. » Kamal Saindou candidat aux municipales de Mutsamoudou

Entre 1975 et 1995, pas moins de vingt et une résolutions ont été votées condamnant « énergiquement la présence française à Mayotte qui constitue une violation de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la République indépendante des Comores » et rejetant « toute forme de référendum qui pourrait être organisé en territoire comorien par la France », comme celui qui, en 2009, entérina le processus de départementalisation de l’île ayant abouti le 1er avril 2011. Depuis, la France a, bien sûr, toujours opposé son veto au Conseil de sécurité à toute proposition de sanction. Depuis quarante ans, l’Hexagone joue les pompiers pyromanes dans des entreprises de déstabilisations politiques, économiques et sociales de l’État comorien indépendant. Durant toutes ces années, s’appuyant notamment sur l’extrême droite française, Bob Denard en tête, la République est venue nourrir bon nombre de bataillons de mercenaires et appuyer différents mouvements séparatistes. Les basses œuvres de la Françafrique, les douteuses relations avec le régime de l’apartheid, en Afrique du Sud, conduisant, par exemple, à l’assassinat, en 1988 à Paris, de la militante de l’ANC Dulcie September, ont souvent trouvé leur base arrière sur l’île mahoraise.

Quatre radars, un hélicoptère

Aujourd’hui encore, la France s’entête dans son entreprise coloniale. Le contrôle des voies de transit pétrolier dans le canal du Mozambique en dépend et l’une des plus grandes bases d’écoutes militaires tricolores est installée à Mayotte. Début février 2015, le nouvel ambassadeur de France aux Comores, Robby Judes, a encore provoqué l’indignation en affirmant, lors d’une visite à Mohéli, que « Mayotte ne sera jamais comorienne ». Cette déclaration fait suite à celles de François Hollande, en août dernier, lors du dernier sommet de la Commission de l’océan Indien, qui cachaient mal ses intentions d’appropriation des nouveaux gisements de pétrole découverts dans la zone.

La frontière coloniale de ce territoire de 374 kilomètres carrés ne cesse donc de se fortifier. Quatre radars, six embarcations de la PAF et un hélicoptère sont quotidiennement employés à la lutte contre l’arrivée des kwassas. Selon le Groupe d’information et de soutien des immigrés, 95 % des personnes, considérées comme étrangères, vivant à Mayotte, sont des Comoriens. « Ce n’est pas de l’immigration, accuse Isabelle Mohamed, membre fondatrice du Groupe de recherche sur le devenir des Comores (GRDC), lors d’un dîner commun avec des responsables du Front démocratique des Comores. Il faut absolument casser cette représentation. » Il y a des raisons économiques et sociales à cet afflux. Le PIB annuel par habitant sur l’île mahoraise est de plus de 6 500 euros contre moins de 600 euros dans le reste de l’archipel. Mais ce n’est pas la seule raison. En 2008, une étude de l’Inserm révélait que près de 30 % des venues se faisaient pour des raisons familiales, loin devant les raisons liées à la santé, à l’éducation ou à des faits politiques. « Ici, la mer n’a jamais séparé personne, confie Kamal Saindou, ancien collaborateur de RFI aux Comores et candidat aux élections municipales de Mutsamoudou. La mer, c’est le lien, la continuité. »

Dimanche 8 février, comme souvent sur Anjouan, aucune maison n’était approvisionnée en électricité. L’état des routes, la gestion quasi inexistante des déchets, la construction d’hôpitaux qui, une fois terminés, n’ouvrent pas leurs portes faute de moyens et de personnels, témoignent du délitement de l’État comorien. Mais l’Eldorado mahorais n’en est pas moins fictionnel. En 2012, à Mayotte, 60 000 logements, appelés bangas, dont 82 % en tôle, n’avaient pas accès à l’eau et à l’électricité. Un tiers des enfants de moins de quinze ans n’étaient pas scolarisés et 56 % des moins trente ans n’avaient obtenu aucun diplôme. « Le service public à Mayotte est un leurre, déplore ainsi Mohamadi Nabhane, professeur au lycée de Mamoudzou, syndiqué à la FSU et membre du GRDC. Tout comme la santé manque de personnels, on manque de professeurs. » Ainsi, il y aurait 450 postes à pourvoir dans l’île pour le seul enseignement secondaire.

3000 à 6000 jeunes mineurs isolés

Pour autant, la priorité de la force occupante reste, malgré un solde migratoire négatif, la gestion de ceux qu’elle considère comme étrangers. Cette politique meurtrière aurait provoqué depuis vingt ans entre 10 000 et 30 000 noyades et disparitions dans les eaux de l’océan Indien. De plus, malgré l’application à Mayotte, depuis le 26 mai 2014, du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les exactions policières et les dérogations aux droits français et international sont légion. Au cours des nuits des 9, 10 et 11 février, près de trois cents personnes ont été interpellées en kwassa. Elles ont immédiatement été arrêtées lors de leur débarquement pour présence illégale sur le territoire français et reconduites à la frontière. Parmi elles, 185 mineurs. « Il faut que je récupère mon enfant », supplie Assani Saindou. Son fils de quatre ans est enfermé au Centre de rétention administratif (CRA) et doit être expulsé le lendemain. « Il vivait à Moroni avec sa grand-mère. Elle n’arrivait plus à s’occuper de lui et n’est pas parvenue à obtenir un visa. Elle l’a mis dans un kwassa… »

On décompte à Mayotte entre 3000 et 6000 jeunes mineurs isolés. Les autorités n’hésitent pas à enfreindre la loi pour tenter d’en résorber le nombre et à les renvoyer 
en mer. « La semaine dernière, ils ont rattaché de façon arbitraire six mineurs à l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) d’
une dame arrivée en kwassa, témoigne Marine Gueroult, employée de la Cimade, 
à Mayotte . Nous avons émis un référé au tribunal administratif. L’expulsion de cette personne était illégale. Elle était déjà dans le bus en direction du port lorsque le juge a délibéré. Ils l’ont relâchée. Mais les six enfants ont quand même été reconduits, en dehors de tout cadre légal ! » Ces irrégularités sont quotidiennes et on enferme tous les jours des enfants dans un CRA surchargé, maintes fois jugé indigne par le contrôleur des lieux d’enfermement, par le défenseur des droits et plusieurs institutions internationales. « Ils confisquent les téléphones, coupent les cabines téléphoniques à l’intérieur et ne respectent pas le droit de visite, continue Marine. Tout est fait pour que les migrants n’accèdent pas à leurs droits. » Marjan Ghaem, avocate, indique pour sa part que sur plus de 1 800 OQTF prononcées en 2014, elle n’a été saisie qu’une vingtaine de fois. « Sur les formulaires que les migrants signent quand ils arrivent au CRA, la case “Je n’entends pas faire usage de mes droits” est systématiquement cochée… Il faut dénoncer le travail de désinformation mené par la préfecture, insiste-elle. Ils éditent des plaquettes et organisent des séminaires destinés aux associations qui expliquent, par exemple, qu’un passeport est nécessaire pour le renouvellement d’un titre de séjour. C’est faux et les personnes prennent le risque d’un nouvel aller-retour en kwassa. »

Corruption et violences policières

Sous les tôles du bar Boboka, à Mamoudzou, l’avocate égrène les exactions commises par les autorités. Elle évoque l’interpellation et l’éloignement systématique des Comoriens emprisonnés à leur sortie de prison. Elle se souvient, aussi, du cas d’un nourrisson mort, à la fin de l’été 2013, « dans un kwassa ou au CRA », l’heure du décès n’ayant pu être définie… Le corps avait été oublié à la morgue en dehors des chambres froides, rendant impossible toute autopsie !

De nombreux témoignages glanés à Mayotte et Anjouan font par ailleurs état de la corruption d’agents des forces de l’ordre qui, en échange d’un peu de chanvre indien ou de quelques onéreux fruits de la mer, monnayent des informations aux passeurs. « On appelle ça le business », sourit Ismaël, le passeur rencontré à Domoni. En revanche, depuis l’accession au pouvoir, en France, de François Hollande, les violences policières contre les migrants semblent s’amoindrirent sur la terre ferme. Patrick Tite, directeur du pôle enfance de l’association d’assistance sociale Tama, qui tient des permanences au CRA et dans les lieux d’enfermement, évoque une évolution dans les interpellations. En 2013, 52 % d’entre elles avaient lieu en mer, contre 82 % en 2014. « Le problème, c’est qu’aucun contrôle n’est possible sur ce qui se passe au large », s’inquiète l’employée de la Cimade.

Pour Dominique Josse, chargé des relations avec l’Afrique au PCF, il est temps de mettre fin à cette entreprise coloniale. « Les forces progressistes, en France et aux Comores, ont à construire une nouvelle feuille de route alliant aspiration à l’indépendance et développement social et politique », souligne-t-il. Et ainsi éviter au peuple comorien une noyade forcée au nom d’ambitions militaires et autres bénéfices pétroliers.

------------

Sur le site de l'Huma : http://www.humanite.fr

Abonne toi : http://boutique.humanite.fr

Tag(s) : #Immigration, #Reportage, #Comores
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :