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Que reste-t-il de l’élan du 11 janvier ?

Le grand hommage populaire aux victimes, voulu hier par le gouvernement, n’a finalement réuni qu’une foule clairsemée et muette.

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Il y a un an, jour pour jour, quatre millions de citoyens français prenaient le pavé pour exprimer leur attachement aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Hier matin, dans la capitale, un grand hommage populaire devait, sur la place de la République, clôturer une semaine de cérémonies et d’hommages aux victimes des deux vagues d’attentats qui ensanglantèrent Paris, Montrouge et Saint-Denis durant l’année 2015. Il n’a pas eu lieu. Les citoyens n’ont pas joué le jeu d’une énième récupération de l’émotion populaire par l’exécutif. Les autorités espéraient des milliers de personnes et que le flot déborde de la place pour prendre la rue. La zone délimitée par l’emplacement des barrières en témoigne. Mais seuls quelques petits groupes ont bravé le froid et accepté de subir les deux contrôles de police obligatoires pour accéder au lieu de l’hommage.

Aux pieds de la statue de la République, il est à peine 10 heures. Une cinquantaine de personnes attendent le lancement de la cérémonie. Le silence est palpable. Tous regardent dans la même direction : des chaises vides alignées dans un espace protégé. À quelques pas, un groupe d’amis s’est réuni pour participer à l’événement. « C’était important de venir, insistent Erwann et Thomas. C’est une manière de témoigner notre solidarité et de ne pas oublier ce qu’il s’est passé. »

Faible mobilisation citoyenne

Ludivine a dix ans de plus qu’eux. Elle est complètement médusée par le peu de personnes présentes. « L’esprit du 11 janvier est peut-être mort, s’inquiète-t-elle. Je suis venue en avance pensant que ça prendrait un temps fou d’accéder à la place de la République. » Elle se souvient que l’an dernier elle n’avait même pas pu l’atteindre tant la foule était dense. Et d’ajouter : « Je suis triste qu’il n’y ait personne. Nous sommes pourtant capables de nous mobiliser. » Depuis janvier 2015, le peuple de France ne s’est pas fait prier pour se réapproprier la statue de bronze qui trône au milieu de la place. Il l’a fleurie, semaine après semaine, de milles messages d’espoir et de résistance. Jeudi dernier, dans la soirée du funeste anniversaire des attaques contre Charlie Hebdo, des centaines de citoyens et de personnalités, comme Renaud ou Christophe Alévêque, se sont spontanément rassemblés autour d’elle. Vendredi matin, à l’aube, les CRS sont venus expulser 150 réfugiés afghans et soudanais qui, avec leurs soutiens, campaient sur cette place que les mobilisations de ces derniers mois ont désignée comme le lieu symbolique de la défense des valeurs de liberté et de fraternité.

Mais hier la statue a finalement été confisquée. Impossible de s’en approcher. Des barrières l’entourent. Un écran géant la cache et montre la cérémonie officielle qui se déroule dans une zone où seuls quelques membres du gouvernement et les familles de victimes ont accès.

À 11 heures, une voix off lance le début de la cérémonie. On compte seulement quelques centaines de personnes. Sur les écrans géants défilent des images de fleurs, de bougies, de chefs d’État comme David Cameron, Angela Merkel, Mohammed VI ou de personnalités comme Madonna et le groupe Coldplay. Les cœurs se serrent. Certains laissent échapper des larmes. Au milieu, des mines déconfites, une femme se distingue en arborant une petite pancarte « Free Hugs » (Câlins gratuits – NDLR). Une poignée de personnes s’arrêtent pour la prendre dans leurs bras. Puis, un court instant, on entend de timides « Johnny, Johnny ! ».

Johnny Hallyday a été choisi par la Mairie de Paris pour entonner un texte de Jeanne Cherhal, après que l’exécutif a inauguré une stèle au pied du « chêne de la mémoire » planté pour l’occasion. Une dame âgée trépigne. Elle est « ravie de voir Johnny » et veut à tout prix le photographier. « Que reste-il de ce dimanche de janvier ? » répète quatre fois la chanson pour conclure. La faible mobilisation citoyenne sonne comme une réponse acerbe.

Que reste-t-il aussi des élans populaires qui brandissaient une République jeune, festive et même parfois provocatrice ? Impossible de les reconnaître, hier, dans les martiales reprises, par le Chœur de l’armée française, de chants pourtant bien choisis : les Prénoms de Paris, de Jacques Brel, et le Temps des cerises, hymne de Paris insoumise, écrit sur les barricades de la Commune. À la fin de la cérémonie, les chanteurs en uniformes sombres chantent la Marseillaise. Une dizaine de citoyens, à peine, finissent par l’entonner. Dans l’après-midi, malgré l’enlèvement des barrières et l’illumination du chêne de la mémoire, dans la soirée, la mobilisation ne s’est pas renforcée.

De telles dissonances entre les aspirations citoyennes et celles de nos dirigeants révèlent les limites des stratégies politiciennes qui cherchent à surfer sur l’émoi populaire. Accompagné par son fils de 9 ans, Rachid a fait le trajet depuis Sartrouville, mais il pointe la déconnexion du pouvoir avec la réalité vécue par le plus grand nombre. Pour ce père de famille d’origine kabyle, le peu de mobilisation notamment de la part des habitants des banlieues est le signe de problèmes qui dépassent le cadre de ces journées commémoratives. « Le malaise est partout, dénonce-t-il. À l’école et dans les rues de nos quartiers. En banlieue, nous sommes complètement abandonnés par l’État. Au lieu de rénover les façades, je me dis qu’on devrait rénover les esprits. »

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Tag(s) : #Reportage, #Société et solidarité, #Attentats en France
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