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Attentat de Nice. Le chagrin retenu des habitants de la Madeleine

Un an après le massacre du 14 juillet, ce quartier cosmopolite peine à panser ses blessures, nées de la perte d’être chers, mais aussi d’un certain sentiment d’abandon.

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Sur l’immense place Masséna, à Nice, un impressionnant barnum bleu vient d’être monté pour accueillir, vendredi, le discours du chef de l’État. Les habitants tout autour ont reçu l’ordre de garder les fenêtres de leur appartement fermées pour l’occasion. Quelques rues plus loin, dans les jardins du musée de la Villa Masséna, quelques touristes se recueillent devant une stèle provisoire installée par la municipalité.

« Tout le monde vit ensemble ici, malgré tout »

À quelques encablures du lieu où, au soir du 14 juillet 2016, le camion fou finissait sa course mortelle, elle est ornée d’un cœur formé par les noms des quatre-vingt-six victimes du massacre. À l’autre bout de la promenade des Anglais, là où, il y a tout juste un an, le poids lourd est monté sur les trottoirs peuplés de milliers de femmes, hommes et enfants venus assister au feu d’artifice, on est moins démonstratif. Ici, débute le ­boulevard de la Madeleine, un quartier à lui seul. Près d’un quart des victimes du drame en sont issues. Mais, ici, on se sent loin des hommages en grande pompe qui se préparent. Difficile, même si on essaie de s’en préserver, de ne pas faire allusion aux tensions liées aux préjugés racistes lorsqu’on évoque les conséquences de cette nuit infernale où dix-huit personnes du quartier ont été tuées. « C’est un lieu cosmopolite », ­explique Modeste, le président de l’Association de défense de l’environnement et des intérêts de la Madeleine, créée pour le maintien des services publics dans le quartier lorsqu’en 2011, le bureau de La Poste a été supprimé. « Aux dernières élections, le Front national est arrivé en tête dans plusieurs bureaux, regrette-t-il. Mais je ne suis pas sûr que ce soit une conséquence du massacre du 14 juillet. Tout le monde vit ensemble ici, malgré tout. »

C’est ce qu’affirme aussi Kamel, le jeune propriétaire d’un snack, ainsi que le patron de la boucherie Halal Taïbet, non loin de là. « Dans les jours qui ont suivi le 14 juillet, tout le monde était assommé, explique-t-il. Il y a eu quelques regards et réflexions déplacés, mais aujourd’hui, la vie à repris son cours. » Pourtant, la tension reste palpable. Une partie de la population semble encore insidieusement sommée de se justifier. « Celui qui a fait ça n’a rien à voir avec l’islam, un vrai musulman respecte la vie », se sent obligé de préciser le boucher. « La première victime était une grand-mère marocaine pratiquante », pointe, à son tour, Modeste. « On évite d’évoquer tout ça, marmonne Françoise, assise, elle, à la terrasse d’un restaurant en bas du boulevard. Vous comprenez, ça pourrait créer des tensions avec… Vous voyez de qui je veux dire… » Non, définitivement, les blessures, ici, n’ont pas véritablement été pansées.

Pas de moyens pour guérir collectivement ce traumatisme

Une semaine après cette nuit de terreur, six cents personnes, toutes origines confondues, s’étaient pourtant spontanément réunies sur le Stade Nicolaï, en face de l’Union sportive arménienne, pour une cérémonie d’hommage aux victimes. Une plaque en hommage au petit Yanis Malvezin-Sahraoui, tué par le camion fou, avec sa grand-mère et sa sœur Léana, a bien été posée, au mois de février, devant son établissement scolaire. Mais elle n’aura pas suffi. « On se bat pour qu’une plaque commémorative évoquant toutes les familles touchées soit installée dans le quartier, précise Modeste. Mais ce genre de choses est géré par l’association Promenade des Anges. Et pour l’instant ça bloque. »

À Nice, certaines mauvaises langues qualifient cette structure créée pour porter la parole des victimes de « promenade des requins », en référence au livre la Baie des requins, qui ­dénonçait le système Médecin. Vincent ­Delhomel, ex-secrétaire général de l’organisation, comparaîtra, en effet, le 19 juillet prochain devant le tribunal correctionnel de Nice dans une affaire d’abus de confiance et d’escroquerie liée à l’association.

« La municipalité met d’énormes moyens pour que la promenade des Anglais soit inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, reprend Modeste. Mais, ici, on a le sentiment d’être abandonnés. Plus de commissariat de police, plus de bureau de poste, plus de guichet de Sécurité sociale… » Et finalement, pas de véritables moyens mis en place pour guérir collectivement les blessures du 14 juillet.

Pourtant, ce mercredi, aux abords de la crèche du quartier, une jeune femme voilée et une autre du même âge, cigarette à la main, viennent chercher leurs enfants. Elles discutent, souriantes. Mais quand vient la question du souvenir du drame du 14 juillet, toutes deux refusent de s’exprimer, prises par le même chagrin.

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Tag(s) : #Reportage, #Attentats en France
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