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accueil des réfugiés. « À Calais, on est revenu deux ans en arrière et c’est même pire »

La justice a donné raison aux associations de solidarité avec les exilés contre les arrêtés honteux de Natacha Bouchart, la maire (LR) de Calais. Mais violences, intimidations et harcèlement restent le lot quotidien des réfugiés.

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Envoyé spécial (Calais) Il fait froid et il pleut, ce mercredi soir, à Calais. Une petite centaine d’exilés est venue profiter des repas chaud distribués par les associations. Le plus âgé doit avoir 25 ans et plus de la moitié, moins de 17 ans. Tout le monde se satisfait de la victoire juridique du jour, mais les mines restent défaites en observant repartir ces colonnes de jeunes gens en quête d’un nouvel abri de fortune pour la nuit.

Quelques heures plus tôt, le tribunal administratif de Lille, saisi en « référé liberté » par une dizaine d’associations, a ordonné l’annulation des arrêtés pris par la maire de Calais visant à entraver la distribution de repas aux migrants. Le tribunal considère que la maire « Les Républicains », Natacha Bouchart, « a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir » et a fait obstacle « à la satisfaction par les migrants de besoins élémentaires vitaux ».

Une véritable course avec la police

Une victoire pour les acteurs de la solidarité, mais qui ne règle pas la situation et n’enlève rien au climat particulièrement tendu qui règne actuellement à Calais. « Ça ne change pas grand-chose, commente Georges, bénévole de l’association Salam. Toutes les organisations ont décidé de continuer, quoi qu’il arrive. » Ce retraité, militant communiste, et Claudine son épouse rentrent à peine de la maraude matinale à laquelle ils participent quotidiennement. « Après le démantèlement du bidonville, on a eu six semaines de répit, raconte-t-il. Puis, un matin juste avant Noël, on a dû prendre en charge une famille afghane avec deux enfants en bas âge dont le père était blessé à la jambe. » La police venait de relâcher ces exilés après les avoir trouvés dans un camion en direction de l’Angleterre et enfermés au commissariat pendant la nuit. « On dénombre aujourd’hui environ quatre cents personnes, continue Georges. Chaque matin, nous en trouvons abandonnées à l’extérieur de la ville. Elles sont exténuées et témoignent de traitements inhumains de la part de la police. »

« Je dois apporter de la fermeté », indique au même moment Natacha Bouchart lors d’une conférence de presse, menaçant si besoin d’« utiliser tout ce qui est en (son) pouvoir qu’(elle n’a) pas encore utilisé pour intervenir ». Début février, pour empêcher le Secours catholique d’installer des douches pour les migrants dans un de ses locaux, la municipalité en avait barré l’entrée avec une benne à ordures. Une semaine après, la justice avait ordonné son retrait. Quelles méthodes plus absurdes encore Natacha Bouchart pourrait-elle mettre en œuvre ? Si la justice parvient à stopper certaines dérives municipales, de nombreuses et inquiétantes situations se développent, jour après jour, afin de rendre Calais la plus inhospitalière possible aux exilés et à ceux qui voudraient les aider.

Devant un immense hangar cogéré par plusieurs associations de solidarité, un bénévole britannique explique que, lors des maraudes du matin, ils récupèrent les sacs de couchage prêtés la veille aux exilés pour les laver et les sécher. « Nous en distribuons une centaine par jour, précise-t-il. Lorsqu’on passe pour les récupérer, c’est une véritable course avec la police et les groupuscules d’extrême droite qui les collectent pour les détruire. » Plusieurs bénévoles rencontrés ce jour connaissent l’immatriculation de cette fameuse voiture remplie d’hommes en noir qui patrouille pour intimider les exilés et leurs soutiens ou pour indiquer aux autorités l’endroit où un petit groupe a pu trouver refuge.

Aux abords de la zone industrielle Marcel-Doret, un pont autoroutier surplombe un rond-point qui jouxte un parking pour poids lourds et un immense terrain vague. La semaine dernière, plusieurs exilés s’y étant abrités déclaraient avoir été réveillés par la police, qui les aspergeait de gaz lacrymogène. Les associations avaient récupéré plusieurs sacs de couchage contenant les bombes aérosol vides des fonctionnaires. Ce mercredi, vers midi, une dizaine de CRS amassent sur le rond-point des dizaines de couvertures récupérées en hauteur, entre le pilier du pont et son tablier. « Il n’y a aucune zone de répit pour les exilés ! s’indigne Georges. Ils ne savent plus où se mettre pour dormir. Dans les fossés, dans les buissons… » La mission de la police est de faire en sorte qu’aucun endroit ne devienne un « lieu de fixation ».

Non loin, à l’écart du centre-ville, le Secours populaire tient un accueil de jour où les exilés peuvent se doucher et partager quelques boissons chaudes. Titi, Senak, Amal et Habi discutent devant l’entrée, emmitouflés dans leur blouson. Tous les quatre, deux garçons et deux filles, sont érythréens et présents à Calais depuis six semaines. « On essaie de passer en Angleterre tous les soirs en montant dans des camions, raconte Amal dans un excellent anglais. Hier soir, je me suis fait arrêter par la police. Ils m’ont enfermée dans les toilettes à l’extérieur du commissariat comme ça, en tee-shirt et en culotte, pendant toute la nuit. » La jeune fille de 23 ans décrit cette maltraitance sans jamais perdre le sourire. Une façon de dire : « Même pas mal. » Mais elle ne s’arrête pas de parler. « Ils nous tabassent dans la forêt, cassent nos téléphones, nous empêchent de dormir en mettant de la lumière, des gaz, de la musique… »

Dans la ville entourée des hauts grillages financés par la Grande-Bretagne, l’atmosphère est devenue lourde et délétère. « On est revenu deux ans en arrière et c’est même peut-être pire », lâche François Guennoc, de l’Auberge des migrants, en distribuant des repas dans le centre-ville. « Ce qui m’indigne le plus, c’est le sort réservé aux mineurs non accompagnés, insiste Clémence, une jeune bénévole de l’association Utopia 56, keffieh autour du cou. On est censé les conduire au commissariat, qui doit les transférer dans un centre d’hébergement d’urgence, à Saint-Omer. Presque tous les soirs, des jeunes que nous venons de confier à la police, nous rappellent en pleine nuit, perdus, abandonnés à l’extérieur de la ville. »

Les autorités prêtes à tout pour que les exilés ne reviennent pas

Cette maltraitance et ces harcèlements des autorités sont normalement plus rares à l’égard des citoyens solidaires, malgré tout habitués aux contrôles d’identité à répétition. L’un d’entre eux, ancien militaire d’une quarantaine d’années, récemment interpellé sur dénonciation pour « délit de solidarité » et dont le contrôle judiciaire lui interdit de parler aux journalistes, en a pourtant bien fait les frais. Conduit au commissariat, il est menotté à un radiateur. Le fonctionnaire chargé de l’interroger pose son revolver sur la table devant lui et s’amuse à le faire tourner. « Tu sais, il risque bien d’y avoir un accident », lui aurait alors lancé l’agent au milieu d’une série d’insultes. Et quand il ne s’agit pas de la police, c’est par des nervis d’extrême droite qu’il est menacé. À la suite de son arrestation, des collègues lui tendent une embuscade sur son lieu de travail et l’invectivent violemment. Il y a quelques jours, des hommes armés ont été interpellés à quelques mètres de chez lui…

Violences, intimidations, contrôles au faciès dans les trains, les autorités semblent prêtes à tout pour que les exilés ne reviennent pas. Mais l’Angleterre conserve son pouvoir d’attraction, et la fermeture de près des deux tiers des 303 centres d’accueil et d’orientation d’ici la fin du printemps ne risque pas d’arranger leurs affaires.

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Tag(s) : #Immigration, #Exilés, #Reportage, #Société et solidarité, #Calais, #Mineurs isolés étrangers
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