Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Accueil des exilés. La chasse aux « justes » de la Roya

Ce week-end, la surenchère policière dans les Alpes-Maritimes a conduit à quatre nouvelles interpellations pour « délit de solidarité ».

----------------

Vendredi dernier. À la frontière franco-italienne, dans les vallées de la Roya et de la Bévéra, les membres du réseau de solidarité avec les exilés bloqués à Vintimille soufflent un peu. L’un des leurs, Pierre-Alain Mannoni, accusé « d’aide au séjour de personnes en situation irrégulière », vient d’être relaxé par la justice. Mais le répit est de courte durée. En fin de journée, quatre nouvelles personnes sont interpellées pour les mêmes motifs et placées en garde à vue.

En début d’après-midi, Cédric Herrou, l’agriculteur jugé deux jours plus tôt pour des faits similaires, recevait chez lui cinq camarades. Il fait de plus en plus froid. Il faut organiser le déplacement d’une dizaine d’exilés, encore hébergés chez le paysan, vers d’autres lieux dans la vallée voisine de la Bévéra. D’autant plus que le procureur de la République, lors du procès, lui a reproché de « loger des réfugiés dans des conditions indignes »… Non loin de là, un homme observe la scène aux jumelles. Personne ne s’en inquiète. Mais les gendarmes indiqueront plus tard qu’ils sont intervenus, ce soir-là, suite à une dénonciation.

Le réseau solidaire face à un dispositif sécuritaire disproportionné

En cette fin de journée, trois voitures partent de Breil-sur-Roya et rejoignent un col qui, à pied, fait la jonction entre les deux vallées. Neuf réfugiés descendent des voitures. Françoise Gogois, militante communiste, héberge occasionnellement des exilés. Elle les dirige sur un sentier pédestre en direction de Sospel. « Les véhicules font le tour ‘‘à vide’’, raconte-t-elle. Au bout d’une heure de marche nous arrivons au point de rendez-vous. » Les exilés se cachent dans des bosquets tandis que Françoise va voir si la voie est libre et prévenir les conducteurs des voitures qu’ils peuvent venir. Le premier véhicule embarque trois exilés et part devant. En chemin, il croise des gendarmes mais n’est pas inquiété. Il faut alerter les deux autres derrière… Trop tard. Dans les deux minutes qui suivent, ils sont arrêtés. À bord, quatre retraités solidaires et six exilés, dont deux mineurs non accompagnés. Les enfants sont directement pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, tandis que les quatre majeurs sont reconduits à Vintimille, en Italie.

Hassan, l’un d’entre eux, est finalement parvenu, hier, à passer à nouveau la frontière et à retourner chez Cédric Herrou. Il raconte qu’à Vintimille, après avoir été raccompagné, les policiers l’ont giflé à plusieurs reprises pour l’obliger à donner ses empreintes digitales. « Il n’était pas ‘‘dubliné’’ jusqu’ici et avait parfaitement le droit de demander l’asile en France, explique le paysan. Mais dans nos vallées, il n’y a nulle part où aller pour faire sa demande. Ils ne peuvent pas bouger, pas travailler. C’est aussi pour ça qu’on tente de les faire avancer. »

Mais le réseau de solidarité fait face à un dispositif sécuritaire disproportionné. « Imaginez, à Sospel… 70 hommes de l’armée, 30 gendarmes en poste fixe au village, les gendarmes mobiles à différents points de contrôle, environ 10 policiers nationaux, (...) les chasseurs alpins et parfois la légion étrangère parcourent les chemins de randonnée… », décrit Cécile Dumas, secrétaire départementale du PCF. Une politique au coût exorbitant alors que les pouvoirs publics se retranchent régulièrement derrière le manque de moyens pour justifier les lacunes de la prise en charge des exilés, notamment celle des mineurs non accompagnés. « Il est urgent d’utiliser l’argent public autrement, par exemple à l’ouverture d’un centre d’accueil », reprend la responsable politique.

Une idée que les associations soutiennent depuis des mois et qui éviterait à des dizaines de citoyens indignés de prendre des risques pour pallier les défaillances de l’État en termes d’accueil. À l’instar des quatre conducteurs qui n’échappent pas, vendredi soir, à l’emballement répressif. Ils sont immédiatement placés en garde à vue, où ils décident de garder le silence. L’un d’entre eux, René Dahon, militant communiste et membre de l’association Roya citoyenne, est conduit aux urgences pour des problèmes cardiaques pendant sa détention. Les trois autres, dont Françoise, également épouse d’un ancien conseiller municipal communiste de Breil-sur-Roya, et Gérard Bonnet, lui-même conseiller municipal de Saorge, sont relâchés au bout de vingt-quatre heures. Ils seront jugés le 10 mai, à Nice. « Des gens qui s’occupent de politique », remarque Cédric Herrou. Car la répression policière et le recours à la justice sont de plus en plus clairement employés à des fins politiques par le préfet et quelques élus de droite. Onze procès sont encore prévus cette année pour « délit de solidarité ».

Une instrumentalisation qui commence à agacer la justice. Face aux vociférations dans la presse régionale d’Éric Ciotti, président (LR) du conseil départemental des Alpes-Maritimes, et de Christian Estrosi, président du conseil régional et adjoint au maire de Nice, sur les réseaux sociaux, la magistrate qui a relaxé Pierre-Alain Mannoni a décidé de publier les motivations du tribunal correctionnel de Nice. « L’aide au séjour d’un étranger pour lui assurer des conditions dignes et décentes ou visant à préserver son intégrité physique n’est pas pénalement punissable », a-t-elle insisté. Dans son acharnement, l’exécutif a, pour sa part, choisi de faire appel de ce jugement.

---------------

Sur le site de l'Huma : http://www.humanite.fr

Abonne toi : http://boutique.humanite.fr

Tag(s) : #Immigration, #Exilés, #Société et solidarité, #Frontière italienne
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :