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François-Bernard Huyghe : « Daech adapte sa communication en fonction de ses cibles »

Magazine en couleurs, courts métrages, réseaux sociaux… les membres de « l’État islamique » ont développé de puissants moyens de communication, calibrés en fonction du public visé. Une propagande difficile à contrer, souligne le chercheur François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’Iris.

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Directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques, François-Bernard Huyghe a été réalisateur de télévision, puis fonctionnaire international à l’Unesco. En 2011, il a publié Terrorismes violence et propagande (Gallimard).

Daech vient d’éditer le douzième numéro de sa revue Dabiq . Comment décririez-vous la communication de l’organisation terroriste ?

François-Bernard Huyghe C’est une communication 2.0. high-tech, sophistiquée et très orientée vers les réseaux sociaux. Dabiq se trouve sur Internet, en format PDF. C’est bien construit, avec une belle maquette. Les focales de leurs vidéos, la composition des images, tout ça est très moderne. Il y a une volonté esthétique et symbolique qui se traduit toujours par des couleurs très franches, des compositions très symétriques et beaucoup de références cinématographiques, y compris à des feuilletons occidentaux. La forme est extrêmement importante. C’est quelque chose que les membres de Daech déclinent d’ailleurs selon les langues et les cultures de ceux à qui ils s’adressent. Ils utilisent des références culturelles différentes en fonction de qui est leur cible. En Angleterre, ils vont s’appuyer sur l’image du rappeur Djihad-John (soupçonné d’être le bourreau du journaliste James Foley – NDLR). En France, on voit surtout des « grands frères des cités » qui parlent d’immigration. Les textes en arabe s’adressent à un public beaucoup moins « déculturé » par rapport aux traditions musulmanes.

Après les attentats de Charlie Hebdo, on nous a expliqué que l’islam était une religion iconoclaste. Comment expliquer un tel recours à l’image de la part de Daech ?

François-Bernard Huyghe C’est vrai qu’en tant que wahhabites, ils sont iconoclastes, voire iconophobes. Les talibans détruisaient des pellicules de 16 millimètres pour signifier leur rejet de l’image filmée. Ils ont également massacré les bouddhas de Bâmiyân parce que c’était, selon eux, une représentation offensante d’Allah. En même temps, si nous les avons vus à l’acte, c’est qu’ils se sont fait filmer… Leur raisonnement consiste à dire que les textes sacrés interdisent de faire des images, parce que c’est imiter le Créateur et parce qu’elles sont excitantes sexuellement ou autrement. Mais que, lorsqu’elles sont pédagogiques, lorsqu’elle mettent l’amour de Dieu dans le cœur de l’homme, alors, elles sont bonnes.

Quel message porte cette communication ?

François-Bernard Huyghe Le message terroriste dit « qui nous sommes », « ce que nous voulons » et « qui sont nos ennemis ». Il affirme donc : « Nous sommes les représentants des vrais musulmans, de la vraie foi », en s’appuyant sur de nombreuses références théologiques et en se réclamant du wahhabisme. Le message dit aussi : « Nous sommes l’avant-garde. Nos ennemis sont des croisés et des pécheurs, mauvais politiquement, parce qu’ils bombardent la Syrie, et moralement, parce qu’ils boivent aux terrasses des cafés. » Ce qu’ils déclarent vouloir, c’est le califat. Ils insistent aussi sur la Hijra, l’obligation pour tout bon musulman de s’installer sur la terre où on applique enfin la charia. Ce qui n’est pas sans rappeler les premiers colons sionistes qui se rendaient en terre bénite d’Israël. Il y a un côté complètement utopique.

À qui s’adressent-ils ?

François-Bernard Huyghe Tout message terroriste a plusieurs publics. D’abord, les ennemis. Pour leur faire peur, les défier. Puis, son propre camp pour lui dire : « Voyez comme nous sommes forts, comme la lutte est exaltante et comment demain sera meilleur. » On s’est aussi rendu compte qu’il y a une communication orientée vers les garçons et une autre vers les filles. Dans un numéro de Dabiq, on trouve, par exemple, l’interview d’Abaaoud à côté de celui de la compagne de Koulibali. Plus largement, on réserve aux garçons les vidéos où on égorge des gens, où on les fait brûler, les massacres et les entraînements. C’est comme des films d’action. On saute d’un camion. On tire. Un imam vient amener un peu de baume idéologique là-dessus. Ils portent des Ray-Ban, brandissent des kalachnikovs, conduisent de gros pick-up… Pour les filles, c’est plus soft. On leur dit : « Regarde, ma sœur, c’est humanitaire. Nous soignons les enfants. Nous construisons des hôpitaux. »

L’utilisation des réseaux sociaux et des vidéos rappelle les méthodes de certains groupes complotistes ou de prédicateurs comme Soral ou Dieudonné…

François-Bernard Huyghe Daech utilise ces réseaux. On peut être complotiste sans être djihadiste ou djihadiste sans être complotiste, mais on est souvent les deux… Il y a, au fond, l’idée que tout a été planifié par les « juifs » et les « croisés », et que chaque chose fait partie d’un même plan « diabolique ». On met dans le même sac le cafetier raciste, l’impérialisme américain et les croisades de Saint Louis. Par ailleurs, si vous vous rendez sur des sites complotistes, c’est parce que vous ne trouvez pas votre opinion sur les grands médias. Les réseaux sociaux favorisent le phénomène parce qu’on s’y retrouve entre soi. Mais il faut se méfier de l’emploi idéologique du terme « complotiste ». Et ne pas l’appliquer à toute personne qui pense que les choses ne se passent pas comme elles devraient. On doit pouvoir être critique sans être assimilé à un complotiste paranoïaque.

Les médias dominants jouent-ils, malgré eux, un rôle dans la diffusion de la propagande djihadiste ?

François-Bernard Huyghe Il y a, en effet, ce que l’on nomme le « judo-terrorisme ». Les terroristes sont contre le système et ils pensent que les médias sont la pire expression de ce système. Celle qui abrutit le peuple. Et, en même temps, ils les utilisent pour faire leur publicité. Et parce que les terroristes provoquent des événements spectaculaires, ces mêmes médias ne résistent pas à la tentation de publier leurs communiqués, leurs textes, de montrer leurs têtes, leurs « martyrs ». Entre un système de mass médias, qui donne de l’ampleur aux actes terroristes, et la communication djihadiste qui échappe à la censure, les membres de Daech gagnent sur tous les terrains.

Comment lutter efficacement contre cette propagande ?

François-Bernard Huyghe On peut user de censure, bien sûr. La France est parmi les pays au monde qui demandent le plus à Facebook et Twitter de fermer des comptes. Ce n’est pas efficace. On peut faire de la contre-propagande, mais nous ne sommes pas bons en la matière. Le site Stop-djihadisme n’apporte pas de vrais résultats. On dit aux jeunes : « Si vous allez là-bas, vous allez mourir ou tuer des gens.» Mais, justement, ils sont attirés par le djihad parce qu’on peut mourir et tuer ! Il y a d’autres méthodes plus efficaces : envoyer de faux messages, des virus informatiques. Ce n’est pas dans la culture française et ça pause des problèmes légaux, mais c’est ce que font des groupes comme Anonymous. Les Britanniques ont ainsi créé la « section 77 » pour faire des interventions idéologiques sur les réseaux sociaux de façon secrète. Nous n’en connaissons pas encore les résultats du fait même du secret.

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François-Bernard Huyghe : « Daech adapte sa communication en fonction de ses cibles »
Tag(s) : #Entretien, #Attentats en France
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